Les Tambours « INGOMA  » du Burundi : des instruments très sacrés politico-cultirels

Instruments séculaires, les tambours ont joué au Burundi un rôle majeur dans l’édification du pouvoir royal durant la période précoloniale. Longtemps considérés comme des vecteurs d’expression des volontés divines et comme diffuseurs des innovations politiques du pays.

Les histoires portées par les traditions orales font état de différentes théories quant à l’origine du tambour burundais, qui ne permettent pas de dater avec certitude l’émergence des croyances qui l’entourent. Ces légendes font cependant coïncider l’apparition du tambour avec la naissance de la monarchie burundaise. Le cycle de Nkoma incarne la polysémie du mot ingoma (tambour, royaume, règne) : à l’aube de l’unification du royaume entre le XVe et le XVIIe siècle, Ntare Ier aurait étendu la peau du taureau qu’il venait de tuer sur une termitière ; un serpent appelé Inkoma en serait sorti et aurait frappé de manière répétitive la peau fraîchement bandée, introduisant le martèlement sourd caractéristique du tambour burundais, qui aurait ainsi hérité de la dérivation nominale ingoma. D’autres mythes mettent en parallèle les sons produits par le tambour et par le battement du sorgho, une plante au cœur des célébrations du pouvoir royal dans le Burundi ancien.

Les ingoma se déclinent en plusieurs catégories de tambours. Karyenda était une divinité tambour. Il était l’un des deux tambours dynastiques symbolisant la légitimité monarchique jusqu’à sa mise à pied, au début des années 1930. Il incarnait la naissance de l’univers et de l’espace-temps dans la cosmogonie burundaise. Celle-ci était célébrée avec faste par l’Umuganuro, la fête des semailles de sorgho, jusqu’aux débuts de la colonisation belge. Gardé par une vestale dans un lieu secret, Karyenda n’était sorti qu’à cette occasion et aurait connu une enveloppe physique unique. Un véritable culte lui était voué, mais ce culte fut abandonné par le dernier roi du Burundi, Ntare V (roi éphémère, du 8 juillet au 28 novembre 1966), devant l’influence croissante des missions évangéliques. Le tambour Rukinzo accompagnait quant à lui le roi dans tous ses déplacements. Rythmant la vie de la cour, il était battu lors du lever et du coucher du roi. Il était renouvelé à la fin de chaque règne. Cette adoration fétichiste se vouait également aux tambours cultuels, ou « tambours sacrés ». Trônant dans des sanctuaires et entourés de tambours courtisans (ingendanyi), un culte ésotérique leur était rendu. Les célèbres tambours Ruciteme (associé à la forêt) et Murimirwa (associé aux cultures) étaient notamment conservés au sanctuaire de Gishora, qu’il est encore possible de visiter aujourd’hui (voir la vidéo ci-dessous).

Enfin, il existe également des tambours – les seuls encore battus aujourd’hui – non vénérés et uniquement destinés à la danse5. Il s’agit de la danse rituelle au tambour royal (umurisho w’íngoma). Elle était censée réveiller les esprits des ancêtres en produisant un son puissant et synchronisé lors de cérémonies officielles, et ce afin qu’ils chassent les mauvais esprits. S’exécutant en demi-cercle, elle repose sur l’initiative d’un batteur principal, percutant un tambour central (inkiranya), et concluant la danse par un solo final. Les tambourinaires préludent la performance en paradant avec leurs tambours sur leurs têtes, puis suivent les rythmes lancés par le batteur principal. Portant des tenues traditionnelles, un groupe de tambourinaires doit être composé d’au moins dix tambours, et toujours en nombre impair. Leur gestuelle est également codifiée, reposant sur trois mouvements principaux de la tête, des jambes et des mains. Certains composants de cette performance s’interprètent de manière particulière, comme le mouvement de la baguette (imirisho) autour du cou qui signifie : « Que je meurs si je trahis mon pays », ou encore le solo final qui symbolise la réconciliation autour du tambour et l’unité du pays.

Soirée inaugurale de gala du 22 mai 2018, les Tambours royaux du Burundi se sont produits à l’UNESCO à Paris. Un spectacle exceptionnel

En 2014, la danse au tambour burundais a été inscrite au Patrimoine immatériel de l’Unesco, anticipant la perpétuation des rituels associés aux tambours. Leur préservation était d’ailleurs encadrée depuis le Burundi ancien. Plusieurs clans de ritualistes étaient garants de la fabrication, de la conservation, ainsi que de la pratique des tambours. Ce statut s’acquiert par filiation patriarcale, renforçant le caractère héréditaire naturel et exclusif du tambour. Encore aujourd’hui, les groupes de tambourinaires sont composés d’au moins un enfant, veillant à la continuité des traditions particulières associées à cette pratique.

Divers secrets entouraient la fabrication, la conservation et le culte des tambours. Ils contribuaient à leur mystification. L’évangélisation de la société et la suppression de l’Umuganuro (vers 1929) les firent progressivement disparaître, expliquant le délaissement des tambours dynastiques et cultuels par les appareils étatiques au cours du XXe siècle au profit d’une exploitation pérenne de la pratique de la danse aux tambours.

Plus qu’un objet culturel et sacré, l’ingoma a aussi été un vecteur de l’ubuntu, une philosophie éthique de l’unité présente dans plusieurs cultures bantoues de l’Afrique centrale, l’Afrique orientale et l’Afrique australe7. Issue de la cosmogonie traditionnelle, l’ubuntu (générosité humaine, humanité) est définie par l’abbé Ntabona, professeur et écrivain burundais de renom, comme « la constance envers soi-même et l’ouverture à l’autre »8 et vers laquelle devraient tendre tous les Burundais. Sa transmission, mise en péril par la disparition de l’Umuganuro, qui la glorifiait, a perduré du fait d’un syncrétisme avec les rites chrétiens. Aujourd’hui, les performances de danse au tambour suscitent et font résonner l’ubuntu auprès de spectateurs burundais sensibles aux sensations procurées par les puissants rythmes des ingoma, porteurs de sentiments identitaires.

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D’un point de vue historique, l’étude des récits de l’apparition du tambour au Burundi atteste de la concomitance de sa genèse avec l’apparition de la monarchie. Cette simultanéité décrite par les légendes aurait pu tacitement contribuer à mystifier l’existence d’une relation causale entre royauté et tambour dans l’imaginaire traditionnel burundais. Ses modifications dressent une mosaïque de son influence sur la normativité politique et sur la tradition religieuse burundaise.
Moyen d’expression des volontés des dieux, les tambours incarnent la stabilité politique. La présence du roi était nécessaire à leur battement. Capables de porter des messages politiques lors de rassemblements à la cour royale ou de sonner le glas d’une victoire militaire, leurs sons faisaient état des fluctuations politiques. Apanage de certains clans de ritualistes tambourinaires batimbo, son battement était employé lors d’événements marquants de l’histoire nationale, à l’instar de la fête des semailles ou de l’accession au pouvoir des rois, dont on disait qu’ils montaient sur l’ingoma.

l’abbé Adrien Ntabona

La pérennité de l’emploi politique du tambour est révélatrice de son ancrage dans la normativité politique. La réglementation d’usage faite par décret par le défunt président Pierre Nkurunziza en 2017 en est une illustration manifeste : « Il est strictement interdit aux personnes de sexe féminin de battre le tambour. De même, tous les groupes qui ont pour objectif de faire de l’animation culturelle doivent désormais se faire enregistrer au ministère de la Culture et ne pourront se produire en dehors des cérémonies officielles qu’avec une autorisation du ministre. […] [L]e ministre se réserve le droit d’accepter [la demande d’autorisation] ou non, au regard de l’importance historique de l’instrument » peut-on lire dans son préambule. Dans la pratique, ces autorisations sont délivrées lors « d’événements d’importance nationale ».

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